Bernard
Leblond, L'accession des Normands de
Neustrie à la culture occidentale (Xème-XIème
siècles) (Paris: A. G. Nizet, 1966),
173-174.
— 173 —
1) La Complainte sur Guillaume Longue-Epée.
Ce texte, découvert par G. Paris dans un ms. de
Clermont-Ferrand, se retrouve, sous une forme
différente, dans un ms. de Florence. Il a été édité
par J. Lair dans son Etude sur la Complainte et par
Ph. Lauer, dans Le Régne de Louis IV d'Outre-Mer ;
également par Ph. A. Becker, dans Z. f. fr. Spr.,
tome LXIII. Ces éditions ne sont pas identiques. (1)
On ne peut situer à coup sûr l'origine de cette
complainte: Jumièges ou Rouen?
J. Lair penche po ur Ronen et il propose de
corriger l'expression initiale de la str. 2 «hic in
orbe» en «hac in urbe», qui serait en effet
déterminant.
Rien ne s'oppose à ce que Longue-Epée soit né à
Rouen, quiétait, depuis des années, la base et
l'entrepôt des pirates la Seine. D'autre part, le
ton et l'allure de ce poéme font songer à un milieu
qui soit, plus qu'un monastère, en contact direct
avec la foule.
Mais la correction «hac in urbe» a contre e'lle
d'être trop classique pour un texte qui n'affiche
guére de prétentions académiques. L'expression « hic
in orbe» precisément parce qu'elle est vague et
maladroite, aurait des chances d'être authentique.
D'autres raisons militent en faveur de Jumiéges: le
duc en était le bienfaiteur et l'on a dit déjà qu'il
était porté sur le martyrologe de l'abbaye. L'abbé
Martin est cité — et cité comme quelqu'un sur lequel
il est inutile de donner des explications, son nom
suffit. Est cité également le duc Guillaume de
Poitou, lequel avait certainement participé, avec sa
femme Gerloc-Adàle, à la fondation de l'abbaye et
l'auteur demande des prières pour lui en même temps
que pour Longue-Epée (2).
J. Lair remarque que Guillaume de Jumièges,
décrivant l'événement de Picquigny, use à trois
reprises de la prose rimée qui ne lui est pas
habituelle, et que ce serait là un souvenir de chant
funèbre. Mais les expressions de Guillaume de
Jumièges ni ses rimes ne reflètent le texte de la
Complainte. On ne peut tirer de là un argument
décisif pour quoi que ce soit.
De toute façon, le texte de la Complainte est
normand, et le premier en date. Comme tel, il a
droit à toute notre attention.
— 174 —
Il contient des éléments de chronique non
négleables: le père, Rollon, était resté païen. Mais
sa mère (la Bayeusaine Poppa) était chrétienne (str.
2). A la mort de son père (str. 3), il est en proie
à une révolte (peut-être les Bretons — ou la révolte
de Rioul). Il fournit un appui efficace à Louis IV
d'outre-mer. Enfin, le guet-apens est machiné par le
comte Arnoul de Flandre (str. 9-14) (3).
Ces renseignements ne nous donnent pas une trame
serrée, mais maint chroniqueur n'est pas plus
loquace pour un même laps de temps. En outre, ils
nous signalent, avec beaucoup de netteté,
l'essentiel de ce qu'un auteur jugeait digne d'être
retenu par la mémoire populaire. Sur ce canevas,
sommaire mais défini, les imaginations avaient toute
latitude pour s'exercer, sans être gênées par un
détail trop minutieux ou trop pédant.
Quant au drame, qui est assez précisément conté, il
fournissait déj à l'«historien» qui le déclamait,
l'occasion de déployer ses talents de mime et mous
gageons qu'il ne s'en privait pas.
NOTES
1. L'éd. de Lair a été rectifiée par Lauer et par
Becker, mais son étude reste d'un grand intérêt. Il
a tort sans doute de vouloir présenter Rollon, ce
brigand, dans un lumière rose. Il refuse la leçon de
la str. 3: «infidele suo patre», mais la str. 2 dit
nettement de Guill. Longue-Epée: «natus patre in
errore paganorum permanente, né d'un père qui
persistait dans l'erreur païenne».
2. Nous avon parlé, au ch. I, du mariage de
Gerloc-Adèle, sœur de Longue-Epée, avec le comte de
Poitou.
3. La révolte de Rioul est évoquée par Dudon, III,
ch. 39-46. — Flodoard parle de l'appui que
Longue-Epée apporta à Louis IV d'Outre-Mer, Annales,
année 942. — Pour le drame de Picquigny, v. Guill.
de Jumièges, III, ch. XI-XII.